Ce texte est un extrait du livre de Jacques Lecomte intitulé « Psychologie : Courants, débats, application », publié en 2008 dans l’édition Dunod (Page 135-137).
Femmes et hommes ont-ils des fonctionnements psychologiques sensiblement dissemblables ? Et, si oui, d’où vient cette différence ? Le débat prend parfois la forme d’une polémique où science et idéologie sont inextricablement mêlées.
1. L’affirmation de différences
Un moment fort du débat a eu lieu il y a une vingtaine d’années, à l’occasion de la publication de l’ouvrage de Carol Gilligan, Une si grande différence[i]. Cette psychologue américaine réagissait aux résultats obtenus par Lawrence Kohlberg qui tendaient à montrer que les hommes atteignent en moyenne un niveau de développement moral plus élevé que les femmes, ceci à partir de réponses à des questionnaires relatifs à des dilemmes moraux (par exemple, un homme a-t-il le droit de voler dans une pharmacie un médicament très coûteux, mais seul efficace pour sauver son épouse cancéreuse ?)[ii]. C. Gilligan soutenait que les hommes adoptent plutôt des conceptions morales fondées sur les principes (ce qui correspond bien aux questionnaires élaborés par Kohlberg), tandis que les femmes optent plutôt pour une morale de la sollicitude (care). Elle a donc mis au point d’autres types de questionnaires, plus aptes à évaluer cette forme de morale.
Selon Deborah Tannen, professeur de linguistique à l’université Georgetown, à Washington, hommes et femmes ont des modes de communication verbale très différents[iii]. Par exemple, les hommes sont à l’aise lorsqu’ils parlent en public, tandis que les femmes le sont quand elles parlent en privé. Pour la plupart des hommes, parler est d’abord un moyen de préserver leur indépendance et de conserver un statut dans un ordre social hiérarchique, tandis que pour la plupart des femmes, la conversation sert avant tout à créer des liens avec les autres : elles s’efforcent donc d’accentuer les ressemblances et d’évoquer les expériences communes ou équivalentes. En d’autres termes, l’homme privilégierait son indépendance, la femme l’interdépendance. Selon D. Tannen, ces différences d’expression, source de multiples tensions au sein des couples, viennent du fait que filles et garçons sont élevés dans des cultures essentiellement différentes.
Une synthèse d’études sur les réactions au stress aboutit à des conclusions proches en montrant que les femmes ont tendance à réagir en prenant soin des autres et en tissant des liens, tandis que les hommes réagissent plutôt par l’attaque ou la fuite[iv].
2. L’androgynie psychologique
Par ailleurs, la théorie de l’androgynie psychologique a modifié les conceptions psychologiques traditionnelles, qui donnaient des rôles très distincts à l’homme et à la femme. Selon Sandra Bem, qui est à l’origine de cette théorie[v], l’identification aux stéréotypes masculins et féminins constitue un obstacle à l’épanouissement de l’individu. L’être humain idéal (homme ou femme) est celui qui peut indifféremment adopter dès comportements « féminins », comme la sensibilité à autrui, ou « masculins » tels que la fermeté, voire l’agressivité selon les circonstances. La personne androgyne est plus autonome car elle peut user d’une plus large palette de comportements. Les différences essentielles ne se présentent donc plus entre groupes humains (hommes/femmes) mais entre individus. Diverses études ont montré qu’environ un tiers de la population est psychologiquement androgyne. Plus précisément, les garçons sont plus souvent androgynes que les filles (36 % contre 29 %). Mais cette théorie a été elle-même critiquée, notamment par Fabio-Lorenzi-Cioldi, qui affirme que « nous pouvons douter du principal postulat de la théorie de l’androgynie psychologique, à savoir que l’individu “sexué”, membre du groupe masculin ou féminin, serait en tant que tel dysfonctionnel, mal adapté[vi] ».
3. Le cerveau a-t-il un sexe ?
Le débat a pris une nouvelle tournure après la publication d’articles et de livres sur la différence de fonctionnement du cerveau chez les hommes et chez les femmes. Certains vulgarisateurs ont même utilisé l’expression « sexe du cerveau ». L’une des principales protagonistes de ce débat est Doreen Kimura, professeure de psychologie à la Simon Fraser University, aux États-Unis[vii]. Cette universitaire a mené diverses recherches et fait le bilan de celles d’autres chercheurs et en a conclu qu’il y a de multiples différences d’aptitudes entre hommes et femmes, et que celles-ci sont d’origine neuronale et hormonale. Ainsi, l’homme est bien meilleur que la femme dans la plupart des aptitudes de visée, comme le lancer de fléchettes ou l’interception d’un projectile comme une balle.
La femme, au contraire, tend à être plus rapide que l’homme dans une série de mouvements impliquant particulièrement les doigts, ce qu’on appelle les aptitudes de fine motricité. La femme est plus sensible que l’homme aux stimuli extérieurs et s’avère meilleure pour lire les expressions faciales et corporelles, mais l’homme obtient de meilleurs résultats dans des exercices de rotation mentale. Les hommes ont des scores plus élevés en raisonnement mathématique tandis que les femmes réussissent mieux les exercices impliquant du calcul. D. Kimura, se situant explicitement dans le courant de la psychologie évolutionniste, affirme que l’évolution aurait exercé des pressions de sélection différentes sur l’homme et sur la femme, l’homme étant probablement sélectionné pour l’orientation à longue distance, qui demande la capacité de reconnaître une scène selon différents angles, et pour le lancer de précision, tandis que la femme au contraire, aurait été sélectionnée pour la fine motricité et pour la navigation sur de petites distances avec des repères.
Ces affirmations sont radicalement contestées par Catherine Vidal, neurobiologiste à l’Institut Pasteur, qui affirme que les différences de fonctionnement entre le cerveau féminin et le cerveau masculin ne sont pas flagrantes[viii]. Sur plus d’un millier d’études en IRM, écrit-elle, seules quelques dizaines ont montré des différences entre les sexes, guère plus marquées que celles qui séparent le cerveau d’un violoniste et celui d’un matheux. On observe plus de variations entre les individus d’un même sexe. Et même si l’on admet ces différences, elles peuvent être expliquées par l’éducation plutôt que par l’évolution biologique. Par exemple, dans nos sociétés occidentales, les petits garçons sont initiés très tôt à la pratique des jeux collectifs de plein air (comme le football), particulièrement favorables pour apprendre à se repérer dans l’espace et à s’y déplacer. Ceci facilite la formation de circuits de neurones spécialisés dans l’orientation spatiale. En revanche, cette capacité est sans doute moins sollicitée chez les petites filles qui restent davantage à la maison, situation plus propice à utiliser le langage pour communiquer.
Sources
[i] . Gilligan C. (2008). Une si grande différence, Paris, Flammarion. Le titre original en américain est In a different voice (D’une voix différente) (1982).
[ii] Kohlberg L. (1981 et 1984). Essays on Moral Development (vol. 1 et 2). New York, Harper and Row.
[iii] Tannen D. (1993). Décidément, tu ne me comprends pas, Paris, Robert Laffont.
[iv] Taylor S.E., Klein L.C., Lewis B.P., Gruenewald T.L., Gurung R.A.R. et Updegraff J.A. (2000). « Biobehavioral responses to stress in females: Tend-and-befriend, not fight-or-flight », Psychological Review, 107 (3), 411-429.
[v] Bem S.L. (1974). « The measurement of psychological androgyny », Journal of Consulting and Clinical Psychology. 42, 155-162.
[vi] Lorenzi-Cioldi F. (1994). Les Androgynes, Paris, PUF.
[vii] Kimura D. (2001). Cerveau d’homme, cerveau de femme ? , Paris, Odile Jacob.
[viii] Vidal C. (2005). Cerveau, sexe et pouvoir, Paris, PUF.
« LIRE AU MAX » est un site web administré par des jeunes professionnels et universitaires haïtiens. Nous nous sommes donnés pour mission de produire et de mettre à votre disposition des textes et des articles diversifiés afin que chacun puisse y prendre goût et s’y retrouver. N’hésitez pas à nous contacter pour toute remarque, suggestion ou conseil.
« Lire pour luire ».
Bonne lecture !
0 Comments