Ce texte a été élu deuxième meilleur texte du grand concours [de texte] national organisé par le groupe A la Page Psychologique sur le thème « la femme haïtienne ». C’est un texte décrivant la situation de ces femmes marchandes, nommées « madan sara[i] », qui sont des piliers de l’économie haïtienne. Bonne lecture à vous !
De Sanite Bélair à Catherine Flon, en passant par Claire heureuse jusqu’à Defilé (la folle), sans oublier madame Ertha Pascal-Trouillot et tant d’autres femmes, l’histoire d’Haiti est marquée par de nombreuses figures féminines, des héroïnes qui, chacune dans leurs temps, apportèrent leurs extraordinaires contributions à la fondation ou à la sauvegarde de cette prestigieuse patrie. Aujourd’hui encore elles sont nombreuses, sur toute l’étendue du territoire national, à lutter corps et âme pour survivre sous le joug d’un système qui ne projette aucune lueur d’espoir. Ces femmes, nous les retrouvons dans tous les domaines de la vie nationale, mais celles que nous voulons honorer dans ce texte, ce sont les « madan sara », celles que certains appellent les « héroïnes du quotidien haïtien ».
Ces femmes se lèvent de très tôt et se couchent très tard. Elles n’ont pas de congé. Elles ont une famille à nourrir, des enfants à préparer pour l’école, des tâches ménagères à réaliser, bref de nombreuses missions à accomplir quotidiennement. Elles laissent presque chaque jour leurs domiciles pour aller soit au marché, soit à la campagne pour s’approvisionner en produits alimentaires, soit à la République voisine (ou d’autres pays de la Caraïbe) pour acheter des produits qu’on aurait pu cultiver ou fabriquer chez nous.
Leurs journées sont souvent pénibles. Elles voyagent dans des conditions infra-humaines, les unes sur les autres, coincées aux milieux de gros sacs de marchandises. Les véhicules qui les transportent n’ont souvent aucune différence avec ces parcs… (mieux vaut ne pas le dire). Elles affrontent la canicule, la pluie, le vent, des routes cahoteuses et poussiéreuses, elles affrontent parfois même des bandits qui leur exigent des rançons, et pire elles subissent parfois des accidents. Elles ne bénéficient d’aucune vraie assistance sociale de la part des autorités, elles doivent se débrouiller toutes seules. Mais, elles n’abandonnent jamais, ce sont de vrais exemples de courage et de détermination.
Ces femmes n’ont pas souvent un niveau académique élevé, elles n’ont pas fait d’école de commerce ou d’administration, elles ne savent pas (en théorie) les techniques de marketing, mais pourtant elles arrivent à écouler leurs marchandises comme des vraies professionnelles. Qui ne se souvient pas de ces paroles célèbres qu’elles utilisent pour attirer des clients ? Pour écouler leurs marchandises, elles sont même prêtes à chanter comme des oiseaux, d’ailleurs elles tirent leur nom de cet oiseau jaune et bruyant qu’on appelle « madan sara ». Elles utilisent aussi des slogans amusants pour charmer la clientèle, par exemple « sispann mande prete[ii] ». Grâce à elles, beaucoup de familles arrivent à se nourrir, souvent à un prix dérisoire. En gros, ces femmes haïtiennes sont des génies. Pour paraphraser un texte que j’ai écrit pour la fête des mères en 2020 (posté sur Facebook):
Aucune œuvre artistique, littéraire, philosophique ou scientifique ne peut décrire et expliquer ces créatures merveilleuses (les « madan sara »). Elles acceptent de pleurer pour que leurs enfants puissent sourire, elles acceptent de se salir afin que leurs enfants soient toujours propres, elles acceptent de subir des humiliations pour que leurs enfants soient honorés, bref souffrir pour que leurs familles puissent se réjouir.
Souvent, après tant de péripéties, beaucoup d’entre elles ont réussi, ou du moins leurs enfants ont réussi. Grâce aux sacs de patates, de bananes et autres, leurs enfants sont devenus des ingénieurs, des psychologues, des médecins, des agronomes, des infirmières, etc. Leurs enfants occupent souvent des postes importants dans l’État, dans des institutions privées ou internationales. Et elles en sont fières.
Nous avons tous une mère, une tante, une cousine ou une amie qui fait partie de ces héroïnes du quotidien. Nous n’avons pas de quoi leur payer pour tous les sacrifices qu’elles ont consentis. Honorons-les, témoignons-les du respect et de l’affection, car elles ont de la valeur.
Que Dieu les bénisse !
Robinson ACHILLE
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Crédit photo: Facebook / Page de Madan Sara Film
Notes
[i] On appelle « madan sara » des marchandes haïtiennes évoluant principalement dans le secteur commercial informel. Elles tirent leur nom d’un oiseau (voir plus sur ici ).
[ii] « Arrêtez d’emprunter aux autres » [Traduction libre]
Licencié en psychologie à l’Université d’État d’Haïti (CHC-UEH-L), engagé dans des activités communautaires, passionné des recherches scientifiques, rédacteur en chef et responsable de publication à LIRE AU MAX, Robinson s’engage à encourager la lecture et l’écriture, surtout chez les jeunes.
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